Voici à quoi ressemble la mort de l’État de droit.

Et c’est exactement ce que tant d’entre nous craignaient, depuis longtemps, avec tout ce qui se passe.

L’État de droit n’existe officiellement plus aux États-Unis — cet même empire qui était le plus puissant du monde jusqu’à très récemment.

Des personnes se font jeter, par des espèces de macaques, dans des camps de prisonniers, dans des camps de concentration étrangers – des goulags – pour des déclarations de guerre sans fondement et des accusations vides de sens. Des centaines de Vénézuélien·nes, y compris des demandeur·ses d’asile LGBTQI+, ont été envoyé·es dans des prisons étrangers (notamment le camp de Guantánamo et la mégaprison CECOT au Salvador), privé·es des du droit à un procès équitable, du droit à l’avocat·e, et de tout semblant de droits humains prévus par la constitution des États-Unis et les instruments internationaux relatifs auxdits droits, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme. Et lorsque les tribunaux ont dit non, l’administration Trump-Musk a non seulement ignoré l’ordonnance judiciaire, mais a continué, dans un acte flagrant d’outrage au tribunal.

D’autres, comme le Dr Rasha Alawieh et Mahmoud Khalil, ont été respectivement expulsée malgré une ordonnance judiciaire a contrario, ou risque la disparition forcée, l’expulsion et la révocation de son statut d’immigrant permanent pour avoir simplement fait preuve d’une once d’humanité à l’égard des Palestinien·nes — une attaque glaçante contre la liberté d’expression. Et, surprise ou pas, ce n’est pas une coïncidence si, au moment où Trump commence à envoyer des Vénézuéliens dans des goulags étrangers, Israël reprend sa guerre génocidaire contre Gaza et en a assassiné plus de 400  personnes en l’espace de quelques heures, en violation flagrante d’un cessez-le-feu qu’il avait accepté juste avant que Trump ne prenne le pouvoir tout récemment. Câlisse.

Pendant ce temps, les personnes trans se voient refuser des papiers d’identité et sont de fait interdites d’entrer aux États-Unis pour le simple fait qu’elles sont trans. Des projets de loi criminalisant purement et simplement la transidentité – considérant mon existence et notre existence comme une fraude pure et simple – est envisagée pour la toute première fois, ce qui montre à quel point la fenêtre d’Overton a été autorisée à se déplacer au cours des dernières années. Les droits civils se font explicitement abroger, pour la première fois dans l’histoire des États-Unis. Et, sans que personne ne s’en étonne, l’État de droit est également mis de côté pour s’en prendre aux personnes trans. Des décisions judiciaires ordonnant des changements de marqueurs de genre sont déclarées « nulles » par fiat exécutif, et des femmes trans détenues se font transférer et jeter dans des prisons pour hommes malgré des injonctions interdisant ce.

La même chose se produit dans le monde entier. La Turquie criminalise tout acte de soutien ou de compassion à l’égard des personnes trans. La Hongrie s’oppose à la Budapest Pride et prévoit de l’interdire par voie législative. Et chez nous, au Canada, nos propres instruments de protection des droits de la personne ­— notamment la Charte canadienne des droits et libertés — sont mis de côté pour faire place à la haine légiférée contre les enfants et adolescent·es trans.

Où tout cela va-t-il s’arrêter ?

Les droits de la personne, tels que nous les connaissons, n’existent-ils plus? Allons-nous devoir passer le reste de notre vie dans la douleur et la misère?

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L’État de droit repose sur un principe fondamental : un gouvernement est redevable de ses propres lois. Il s’agit d’un équilibre théorique, parfois résumé comme suit : « nul n’est au-dessus de la loi » et « tout le monde est égal devant la loi ». Il s’agit d’un paradigme imparfait, qui ne tient pas compte des lois injustes, mais qui est le paradigme même qui empêche les gouvernements d’agir de manière arbitraire, c’est-à-dire irrationnelle.

L’État de droit est le principe même qui garantit l’application des instruments relatifs aux droits de la personne. C’est ce qui permet aux citoyen·nes de s’assurer qu’iels ne risquent pas d’être assassiné·es par des opposant·es politiques. C’est peut-être le fondement même des démocraties contemporaines.

Que se passe-t-il lorsque l’État de droit se fait tuer ? Les droits fondamentaux que l’on vous a promis et garantis finissent par être aussi utiles que du papier toilette.

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L’empathie est une valeur humaine fondamentale, qui fait partie de ce qui nous lie les un·es aux autres. Pourtant, les personnes qui font preuve d’empathie à l’égard des autres, notamment en leur fournissant les soins de santé nécessaires, se font criminaliser pour leurs actes. L’homme le plus riche du monde et un nazi, Elon Musk, s’attaque à l’idée même de l’empathie pour les autres — tsé, la chose même qui nous a permis à survivre d’innombrables crises humanitaires tout au long de l’histoire. C’est ce qui nous a permis de survivre à la catastrophe climatique provoquée par l’homme jusqu’à aujourd’hui. Et maintenant, des déportations de personnes qui n’ont jamais été accusé·es de quelque crime que ce soit se font présenter, par la Maison-Blanche, en tant que contenu ASMR… Jusqu’où sommes-nous tombé·es?

L’un des textes les plus importants sur le fascisme — Reconnaître le fascisme, d’Umberto Eco — m’a été présenté pour la première fois, dans sa version française (Reconnaître le fascisme), par mon professeur de droit constitutionnel, Frédéric Bérard. L’une des questions qui m’a été régulièrement posée était de savoir à quel point le fascisme est reconnaissable lorsque l’on en reconnaît les signes avant-coureurs. Permettez-moi de l’appliquer aux États-Unis…

Le culte de la tradition? Oui. Suffit de regarder la suprématie blanche.

Le rejet du modernisme? Ben oui. Il n’y a qu’à voir la culture des tech bros.

Le culte de l’action pour l’action? Encore une fois, oui. Suffit de regarder toutes les attaques contre les personnes trans.

Le désaccord comme trahison? Oh que oui. Il suffit de voir comment la National Institute for Health définance toute recherche allant à l’encontre des soi-disant « intérêts nationaux américains » — sur des sujets aussi simples que la santé des personnes trans.

La peur de la différence? Encore une fois, ben oui. Suffit de voir toutes les tentatives d’expulsion des immigrant·es montrant une empathie envers les Palestinien·nes, ou les tentatives de criminalisation des personnes trans.

L’appel à une classe moyenne frustrée? Sans surprise, oui. La plupart des sondages effectués à la sortie des urnes aux États-Unis le montrent assez clairement.

Obsession d’un complot? Sans ambiguïté, oui. Le soi-disant « agenda trans » est exactement cela.

L’ennemi est à la fois fort et faible? Oh boy, oui. Le fait que les personnes trans sont montrées en quelque sorte en tant que figures derrière un « agenda mondialiste » tout en étant considérées simultanément comme des « malades mentaux » incapables d’agentivité par les autorités n’est qu’un exemple parmi d’autres.

La vie comme une guerre permanente? Eh que oui. Il suffit de regarder l’insurrection techbro contre pratiquement tous les groupes qu’elle considère comme « autres ».

L’élitisme populiste? Oui.

L’héroïsme comme norme? Oui.

Le machisme? Oui.

Le populisme sélectif? Oui.

La novlangue («newspeak»)? Oui.

Je n’ai pas d’autres mots à dire, mais les choses ne s’annoncent pas bien pour l’avenir. Le monde brûle, mais nous ne nous en rendons pas compte. Pourtant, c’est là tout l’enjeu. Nous sommes en train de brûler, mais on nous gaslight pour tenter de faire semblant que ce n’est pas le cas. Ce n’est pas pour rien que l’ennemi des fascistes, c’est ceux qui pensent critiquement: « Il est plus facile de diriger un gouvernement autoritaire si la population n’est pas au courant ».

L’État de droit ne disparaît jamais par décapitation, ni par exécution publique. L’État n’annonce jamais que le fascisme est désormais l’idéologie de l’État, au moins depuis la fin des Nazis d’Hitler. Au contraire, les antifascistes sont considéré·es comme des ennemi·es de l’État. Et il s’en faut de peu pour que cela devienne la vérité.

L’avenir est sombre et je n’ai pas d’autres mots à dire.

Que l’humanité l’emporte.

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P.S. Maintenant qu’aucun droit ne peut être garanti aux États-Unis, les personnes trans devraient éviter tout voyage — ou même escale — là. Je m’en charge de mettre à jour mon avertissement de voyage sous peu.