Aujourd’hui, le comité de sages sur l’identité de genre vient de présenter, en conférence de presse privée, son rapport: un monolithe d’environ 300 pages écrit sur nous, sans nous.
Même si le rapport ramène bien certains enjeux de la communauté, et contient certaines recommandations positives et (à mon avis) nécessaires à implémenter, il est néanmoins imprégné de stéréotypes profondes sur les personnes trans, surtout les femmes trans, notamment en prétendant, en opposition à la science, que le sexe serait une affaire binaire et immuable.
Voici un résumé dudit rapport, ainsi que mon analyse personnelle!
Résumé du rapport
Introduction et section 1 («L’identité de genre: un phénomène en évolution»)
Même si le comité de sages reconnaît les boulversements en matière des droits des personnes 2ELGBTQ+, celui-ci «compare» les groupes anti-trans à l’autre «extrême»: nous, les personnes trans. Il essaie d’emblée de postuler qu’il n’existe que deux sexes binaires, sans aborder la nature modifiable (et fluide) de celui-ci. Il décrit l’identité de genre, argumentant que ça «vient renforcer les stéréotypes sexistes», un talking point anti-trans fréquent, tout en citant la théorie discréditée de la rapid onset gender dysphoria, argumentant même que la pornographie peut encourager les jeunes filles à transitionner.
Bref, l’on argumente que la théorie de la «contamination sociale» serait une hypothèse légitime à considérer (vol. 1, § 1.2). Fucked up, n’est-ce pas?
La plupart des personnes concernées ici soulèvent l’importance de lutter contre la discrimination, tout en accordant une importance disproportionnée au «sexe biologique». Le Comité de sages a entendu des TERFs qui se disent attirés aux personnes du même sexe uniquement, «qui dénoncent la redéfinition de l’homosexualité» — un autre talking point anti-trans. Le rapport relaye également l’idée de «sex based rights» (droits basés sur le sexe), argumentant un besoin de parler davantage de «sexe biologique», argumentant que l’«l’intersectionnalité portée à l’extrême a pour effet de diluer [la place des femmes]» et de limiter les droits des personnes trans en fonction de ce besoin.
Encore une fois, on ne mentionne pas la nature fluide du sexe: tsé, les hormones, ça change comment ton corps fonctionne!
Le Comité de sages relaye, encore une fois, l’idée anti-trans que la transition s’avère de «l’idéologie», et que l’inclusion des
personnes trans dans les milieux féministes sème la «division». Une sous-section est nommée «La confusion entre sexe et genre dans la langue». C’est des points copie-colle de groupes anti-trans tel que Pour les droits des femmes du Québec, un groupe marginal fondé pour soutenir la «laïcité» et les discours TERF.
On parle encore des «médecins» qui argumentent que leurs propos seraient «transphobes», que nous serions trop militants, que nous traitons les médecins automatiquement de transphobes: encore une fois, davantage du stéréotype que de la réalité.
Pour conclure ce premier chapitre: c’est rempli de stéréotypes de bas en haut, et malheureusement, pourrait être utilisé par le gouvernement pour justifier plus de lois anti-trans, similaires au projet de loi n° 2 (2021).
Section 2 («Droits, discrimination et vie privée»)
Ce chapitre commence en premier avec une revue historique de l’avancée des droits des personnes trans au Québec. Cependant, il présente le «sexe» en tant que motif protégé complètement distinct et indépendent des personnes trans, quand toutefois, le «transsexualisme» fut reconnu partie intégrante dudit motif depuis 1998 (CDPDJ (M.L.) c. Maison des jeunes À-Ma-Baie inc., 1998 CanLII 28). Cette section décrit généralement bien les enjeux de discrimination que subissent les personnes trans au Québec. Cependant, elle revient toujours à mettre en opposition les droits des femmes et ceux des personnes trans — prenant ça comme fait, plutôt qu’un modus operandi pour réimposer la discrimination anti-trans à travers la société. L’on parle également de mettre en opposition l’affichage de l’identité de genre dans la collecte de données vis-à-vis un attachement «au sexe biologique». C’est concernant.
Section 3 («Soins d’affirmation de genre»)
Ce chapitre commence en parlant des standards de soin de la WPATH, mais tout en accordant de la légitimité au fameux Cass Review et d’autres points anti-trans — sans toutefois remettre la question la médecine. Cependant, l’on mise fortement sur la médicalisation de la transition, et sur l’importance d’avoir une équipe multidisciplinaire qui assure un suivi. À mon avis, il y a de bonnes chances que des barrières supplémentaires à la transition médicale soient implémentées, sans toutefois arriver au point d’une interdiction totale (style É.-U./U.K.). Est également rapporté certains points anti-trans, tel que la «mutilation» relative aux chirurgies d’affirmation de genre, ainsi que les enjeux de fertilité, mais d’une manière (à mon avis) davantage scientifique.
À la section 3.3 est discuté certains enjeux relatifs au rôle des professionnel·les de la santé dans la prestation de soins transaffirmatifs. La principale
chose qui m’inquiète, c’est comment l’on distingue «thérapies exploratoires» — “gender exploration therapy”, un autre nom pour les thérapies de conversion, aux thérapies de conversion proprement dit. Rappelons-nous, ces «thérapies» visent souvent à faire «disparaître la transitude» par le simple moyens d’attendre.
La section 3.4.1 discute de l’évaluation des personnes trans mineures. et notamment des divers approches d’«évaluation» de la transitude. Selon le Comité de sages, «un consensus se dégage quant à la nécessité d’une évaluation rigoureuse, menée par du personnel compétent en la matière». La § 3.4.2, quant à elle, prône une implication plus grande des parents quant celle-ci s’avère possible: «le soutien familial demeure un grand facteur de protection».
Le Comité de sages rapporte bien les enjeux que vivent les personnes trans aîné·es. Il affirme également et justement, que «[le soutien des personnes qui détransitionnent] doit s’inscrire dans la continuité des services psychosociaux et médicaux dispensés aux personnes trans».
Il soulève également les enjeux d’accès aux soins transaffirmatifs, notamment en région, et également le besoin criant de former le personnel de la santé — tout en citant Trans Express pour dire qu’il faut plus d’encadrement, rejetant l’approche purement transaffirmative pour plutôt davantage médicaliser ces soins.
Bref, même si le respect de l’identité de genre des patient·es trans est mis d’avant, l’approche prônée par le Comité de sages pourrait néanmoins mener à des listes d’attente plus longues — sauf action de la part des CISSS/CIUSSS et établissements de santé individuels.
Section 4 (éducation à la sexualité; transition sociale à l’école)
Le Comité de sages aborde largement les enjeux relatifs à l’éducation à la sexualité, mais critique l’«amalgame entre les concepts de genre et de sexe» — un talking point anti-trans fréquemment utilisé. Pour citer le rapport: «[la notion de «genre»] doit toutefois être enseignée en concomitance avec celle du sexe en tant que caractéristique biologique et reproductrice constatée à la naissance.» Une invisibilisation, encore une fois, des réalités des personnes trans.
Celui-ci parle également d’uniformiser les approches d’enseignement de l’éducation à la sexualité, tout en retenant l’importance d’aborder l’identité de genre dans lesdits cours.
Il y a du bon — notamment, la position du Comité de sages à «recentrer les contenus sur des valeurs cardinales telles que la tolérance et le respect de la diversité» — mais également du très moins bon, notamment de mettre d’avant certaines revendications de groupes anti-trans.
Le Comité de sages aborde également le sujet de la transition sociale des jeunes trans en milieu scolaire, et également les difficultés que rencontrent les professionnel·les du milieu scolaire à les accompagner. Il mise d’avant sur l’utilisation de plans d’accompagnement, tout en assurant le respect des leurs droits.
Au niveau de l’implication des parents, le rapport mentionne les lois anti-trans de l’Alberta et de la Saskatchewan, tout en mentionnant à tort que ces lois permettent des exceptions au dévoilement forcé de la transidentité des jeunes trans. Toutefois, il revient à revenir sur l’idée phare de l’«intérêt supérieur de l’enfant» — un très bon signe pour leurs droits, mais tout en misant à «inciter l’élève à informer ses parents».
Le rapport mentionne: «[une] clarification législative s’impose et que les changements apportés doivent répondre à la fois aux impératifs de protection de la sécurité physique ou psychologique de l’élève, respecter son autonomie progressive et reconnaître l’importance du soutien parental dans le parcours de transition». L’on présente la possibilité de ne pas informer les parents davantage en tant qu’exception que la règle; que d’inciter l’élève à dévoiler son identité de genre à ses parents serait une obligation, sans toutefois imposer le outing forcé.
Parmi les recommandations mises en place par le Comité de sages, se retrouvent la mise en place de matériaux approuvés (similaire à l’Alberta et la Saskatchewan) en matière d’éducation à la sexualité, sans toutefois déborder dans la sphère de «lois anti-trans» comme je le qualifierai d’habitude.
Est-ce qu’il se peut que le Québec implémente des projets de loi anti-trans à l’instar de l’Alberta et la Saskatchewan à cet égard? Peut-être, vu que le gouvernement peut toujours librement ignorer ce rapport. Je pense cependant que les chances que ceci arrive risque d’être faible.
Section 5 («Espaces réservés et sport»)
Le Comité de sages les espaces non-mixtes, en énonçant que «les vestiaires et les toilettes non mixtes sont divisés selon le sexe». À la lumière des constats bioessentialistes du sexe rapportés à la § 1 du rapport, ceci m’inquiète grandement. L’on parle de «protéger les femmes» en les tenant à part des personnes trans, dans des espaces non-mixtes basées sur le sexe. L’on rapporte les points de groupes de femmes anti-trans, mettant en opposition les droits des femmes aux droits des personnes trans, tout en présentant laisser les femmes trans aller dans les espaces pour femmes comme l’exception, et non la règle.
Pour celui-ci, néanmoins, «l’objectif est clair : offrir un accès à des espaces réservés, adaptés à une société plurielle.» Mais… je dois me questionner sur si l’exclusion, telle que prônée ici, mènera à l’inclusion. Les femmes trans sont des femmes. Les hommes trans sont des hommes. Ceci doit venir en premier.
Le Comité de sages constate qu’à cause de la discrimination anti-trans, les personnes trans s’excluent souvent des services d’hébergement d’urgence, qui s’avèrent genrés. Toutefois, il défend de maintenir des espaces pour femmes, basées sur leur sexe — il retient qu’il faut «à la fois soutenir les centres qui privilégient le maintien d’espaces réservés aux femmes cisgenres et ceux qui tentent d’élargir leur offre aux femmes trans». Separate but equal [«séparé mais égal»], n’est-ce pas?
Est également discuté des enjeux que font face les personnes trans en prison, et affirme leur droit à la dignité, mais avec des bémols. À cet égard, ses recommendations sont similaires aux directives fédérales au sujet des prisonnier·ères trans: une évaluation individualisée (le cas par cas), intégrant un nouvel critère de la «sincérité» de l’identité. Un critère, à mon avis, quand même assez violent.
Sur le sujet des sports, le Comité de sages distingue les sports récréatifs du milieu compétitif, tout en mettant devant l’idée de la
«sécurité» (stéréotypes anti-trans?) et de l’«équité» (que j’arrive davantage à comprendre). L’on parle toutefois d’adopter des «solutions flexibles et adaptées à chaque discipline». L’on encourage également le gouvernement du Québec à introduire des lignes directrices à cet égard. Reste à voir comment c’est implémenté dans la pratique.
Le conclusion du rapport
Le Comité de sages conclut son rapport sur une liste d’«ingrédients à privilégier»: mieux se comprendre, résister à la polarisation, l’approche individualisée, le respect des droits, et la clarté conceptuelle (🚩). Ce dernier m’inquiète grandement, vu qu’encore une fois, l’on essaie de distinguer et d’accorder une importance disproportionnée au «sexe biologique» (à la naissance), ce qui peut bafouer les droits des personnes trans au Québec.
Alors, où sommes-nous?
Il y a du bon dans ce rapport. L’on parle en toute longueur des enjeux que subissent les personnes trans en société. La discrimination est bien discutée. Mais… le mauvais… il est très, très, très mauvais.
Ce rapport reprend bien des points provenant de groupes anti-trans. Ceci est surtout visible dans les aspects «espaces mixtes», où il me semble bien que des groupes TERF ont pu faire paraître leurs voix, réduisant le sexe à un simple concept binaire, constaté à la naissance, et immuable. Le rapport présente bien trop souvent les droits des femmes et des personnes trans en tant que droits opposés (plutôt que symbiotiques).
À mon avis, le tout me mène à croire que ce rapport est, en premier et surtout, transmisogyne et misogyne. Elle essaie de «simplifier» un concept qui ne peut être simplifié de telle manière, séparant les droits (surtout) des femmes trans des autres femmes. C’est, à cet égard, un échec massif.
Alors… est-ce qu’il aura des projets de loi anti-trans bientôt au Québec?
À mon avis, oui.
Le fait même que le rapport fait des recommendations législatives et politiques mène à croire qu’un projet de loi risque d’être déposé — ce, probablement en automne — au sujet des personnes trans.
Les chances que les soins de santé transaffirmatifs soient interdits au Québec sont , à mon avis, quasi nonexistantes. Niveau «outing forcé», je ne pense pas que ce serait probable non plus. Cependant, il se peut que les propos transmisogynes du rapport du Comité de sages reviennent, notamment en créeant une exception à la Charte québécoise permettant à des dérogations au motif protégé de l’identité de genre pour certains espaces jugés devrant être non mixtes (tel que les toilettes, les vestiaires, et les centres d’hébergement) — et, au pire cas, une redéfinition explicite du motif protégé du sexe pour exclure la transitude et la transition dudit motif (renversant un précédent de 1998).
Le futur reste à venir. Mais… entre temps, espérons que les choses ne seront pas trop horribles.
Le rapport peut être lu sur le site web du gouvernement du Québec.