Carte des politiques anti-trans au Canada - juillet 2025

Nous sommes à mi-chemin à travers 2025, une année que l’on va se souvenir en tant qu’année remplie d’attaques et de reculs à l’échelle mondiale contre les droits des personnes trans. Au Canada, malgré certains développements positifs, nous ne sommes pas non plus épargné·es. Le risque de régressions politiques anti-trans ici persiste, en particulier dans les juridictions canadiennes où les gouvernements de droite sont au pouvoir. Pourtant, il y a des raisons de garder espoir, notamment en regardant les provinces qui montrent une manière d’avancer malgré tout ce qui se passe.

Changements depuis janvier 2025

  • Fédéral: Risque élevé avec avertissement supplémentaire → Risque modéré avec avertissement
  • Québec: Risque modéré avec avertissement → Risque moyennement élevé
  • Nouveau-Brunswick: Risque modéré → Risque basse

La version de janvier 2025 de la présente carte et analyse est disponible en anglais seulement.

À propos de la présente carte

Depuis que j’ai commencé à documenter les régressions aux droits des personnes trans au Canada (depuis 2021, lorsque je luttais contre la version initiale du projet de loi 2 au Québec), on me demande : « Je prévois de déménager au Canada, où devrais-je déménager ? ». Cette question, malheureusement, m’a été posée bien trop souvent depuis janvier 2025, date à laquelle Donald Trump a repris le pouvoir aux États-Unis : rapidement, nos voisins du sud sont devenus une zone de non-droit pour les personnes trans, avec des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays et (de plus en plus) de réfugié·es et demandeur·se·s d’asile de jure et de facto. Cette question est tout aussi pertinente pour les personnes trans habitant au Canada elles-mêmes, ainsi que pour les autres personnes trans migrantes, qui souhaitent pouvoir vivre et s’épanouir dans un environnement où leur existence n’est pas constamment remise en question.

La version initiale de ma carte a été créée en septembre 2023; cette carte, inspirée de la carte d’Erin Reed concernant les lois anti-trans aux États-Unis, est devenue une manière pour moi de visualiser la haine anti-trans au Canada. À ce moment, des manifestations contre les droits des personnes trans avaient eu lieu à travers le pays, et la Saskatchewan allait devenir la seconde juridiction canadienne adoptant des mesures anti-trans. Depuis ce, plusieurs évolutions, principalement négatives mais parfois positives, ont eu lieu.

Les lois et politiques anti-trans au Canada ont tendance de s’inspirer de qu’est-ce qui se passe aux États-Unis, tout en étant adapté pour le contexte local. Des exemples incluent des interdictions des soins d’affirmation de genre, de drapeaux de la Fierté, de livres, ainsi que des lois mandant un outing forcé. Les stratégies juridiques utilisés pour défendre de telles lois sont presque équivalents. Les influences derrière les groupes anti-trans, financés tant par des groupes étrangers que des groupes locaux, se font de plus en plus ressentir ici.

Mon focus est de documenter le risque pour tant les adultes que les jeunes trans, en prenant pour acquis que le risque est relié. La plupart des lois anti-trans (et anti-2ELGBTQ+) dans le contexte canadien visent principalement les jeunes trans ou les femmes trans (sur ce dernier point, de la transmisogynie).

Cette carte ne vise qu’à analyser la haine légiférée, et non le niveau de sécurité de divers communautés pour les personnes trans à travers le pays. La triste réalité, c’est que c’est très difficile, voire impossible, de documenter, par exemple, les incidents haineux de manière compréhensive. Cette carte ne devrait pas être ton seul point de repère concernant les développements anti-trans au pays; plusieurs détails — tel que l’allongement ou le raccourcissement des temps d’attente pour l’accès aux soins de santé transaffirmatifs — ne sont pas captés ici!

Méthodologie

Toutes les juridictions sont présumées présenter un « risque modéré ». À partir de là, tout projet de loi, toute politique ou toute loi qui nuit activement à une proportion significative de la communauté trans, ou tout climat sociopolitique favorable à l’adoption de telles lois et politiques avant ou peu après les prochaines élections, fera passer une juridiction à un « risque élevé ».

Le qualificatif « pires lois anti-trans » est réservé aux juridictions qui soit interdisent aux jeunes trans de recevoir des soins transaffirmatifs, soit outant les jeunes trans à leurs parents,, soit ont une combinaison de lois et de politiques anti-trans créant un climat si hostile aux personnes trans qu’elles seraient analogues à une « pire juridiction » selon la carte des risques anti-trans aux États-Unis d’Erin Reed (dont cette carte s’inspire vaguement).

Le qualificatif « à faible risque » est réservé aux juridictions qui ont soit créé des politiques et proposé et mis en œuvre des lois en faveur du bien-être des personnes trans, soit se sont montrées disposées à défendre activement les jeunes trans.

Les politiques du parti au pouvoir et/ou de tout parti d’opposition ayant une certaine probabilité de former un prochain gouvernement sont évaluées lors de la qualification du niveau de risque d’une juridiction.

Panoramic photo of Alberta Legislature. In front of it, four people, facing the legislature, point their middle fingers towards it.

La pire province: l’Alberta

L’Alberta continue à être la pire province pour les personnes trans au Canada, et la seule à obtenir le qualificatif «pires lois anti-trans». Ceci est le cas à cause des projets de loi 26 et 27, adoptés en décembre dernier, respectivement une interdiction sur les soins d’affirmation de genre en dessous de 18 ans, et une loi mandatant le outing forcé des jeunes trans qui font un coming-out à l’école. Cette dernière loi sert également en tant qu’une interdiction de facto de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire.

Le projet de loi 26 a été temporairement suspendu en Cour, grâce aux efforts à Skipping Stone et Égale Canada, qui ont lancé une poursuite la journée après que les lois ont été sanctionnées. L’Association médicale canadienne a également lancée sa propre poursuite visant ladite loi. Malgré les droits des jeunes trans concernés par la présente loi, le gouvernement de l’Alberta a l’intention de porter en appel ledit jugement, et d’utiliser la clause dérogatoire — un geste «cruel et non nécessaire» selon Amnistie internationale Canada anglophone. D’autres propositions faisant partie de la plateforme de la United Conservative Party, le parti d’extrême-droite gouvernant l’Alberta, incluent des interdictions sur le drag, des interdictions de changement de sexe légal, et encore plus d’espace pour les discours haineux sur les campus universitaires — suggérant que l’Alberta n’a pas l’intention de reculer bientôt, peu importe ce que la Charte canadienne des droits et libertés dit.

Le projet de loi 27 sur l’éducation n’a pas encore fait l’objet d’une poursuite judiciaire, mais ça risque d’avoir lieu dans les mois à venir.

Une autre loi visant les personnes trans en Alberta est en vigueur présentement: la Fairness and Safety in Sport Act, une interdiction sur les femmes et filles trans en milieu sportif. Les règlements accompagnant ladite loi dicte que tout athlète âgé·e de 12 ans et plus doit être capable de «prouver» un sexe féminin tel qu’assigné à la naissance pour pouvoir jouer dans le sport féminin — que ce soit récréatif ou compétitif. Cette loi force les organisations sportives — incluant les organisations privées — à implémenter une telle politique; et permet à des vigilantes à contester le sexe assigné à la naissance d’un·e athlète, une mesure qui ne résultera qu’en plus de transphobie, que ce soit à travers l’exclusion systématique des femmes trans, ou par la création d’un environnement favorisant une police du genre affectant toutes les femmes.

Finalement, des interdictions sur le drapeau de la Fierté, implémentés en 2024 par les villages de Westlock et Barrhaven, demeurent en vigueur.

En deuxième place: la Saskatchewan

La Saskatchewan continue d’être une juridiction de «haut risque» pour les droits des personnes trans habitant là. Son utilisation sans précédant de la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés pour mettre en vigueur la loi 137 («Déclaration des droits des parents»), un mécanisme permettant de mettre des lois à l’abri de toute contestation fondée sur les droits de la personne (tel que le droit à la vie, la liberté, la sécurité de la personne, et à l’égalité). Les jeunes trans vont inévitablement souffrir à la lumière de cette loi, qui limite arbitrairement leur droit à la dignité à l’école (en empêchant l’usage d’un prénom ou de pronoms choisis dans le cas des jeunes trans uniquement, sans toutefois aller aussi loin que l’Alberta, qui mandate le outing forcé). Même si Scott Moe, chef du parti de la Saskatchewan, est revenu sur sa proposition d’interdire les vestiaires aux jeunes trans « dès le premier jour » de son mandat, en réaction à un reportage sur l’utilisation des vestiaires par deux jeunes filles trans, il a néanmoins exigé que chaque école dispose d’une politique en la matière, ce qui pourrait tant améliorer ou empirer la situation.

Il reste qu’il y a un risque élevé qu’encore plus de lois anti-trans soient introduits là, selon la panique morale du jour.

En troisième place: le Québec

Le Québec est souvent distinct du restant du Canada, par l’effet d’une barrière linguistique relativement forte. Malgré ce, une montée marquée de la haine anti-trans — en particulier, de la haine propagée par la Coalition avenir Québec, le parti de droite au pouvoir dans la belle province — mérite une augmentation du niveau de risque, mais pas au même niveau que la Saskatchewan.

Le Ministère de l’éducation du Québec requiert, depuis mai 2024, que toutes les nouvelles toilettes dans les écoles publiques soient genrées — une mesure introduite suite à des paniques morales en septembre 2023 relatif à des toilettes non genrées. Les élèves sont également désormais forcé·es par règlement d’utiliser Madame ou Monsieur pour désigner leurs professeurs à l’école — une politique reliée davantage au civisme qu’à un motif d’intention anti-trans, mais néanmoins avec un impact disproportionné sur les professeur·es de la diversité de genre.

Le Comité de sages sur l’identité de genre, un comité sur les personnes trans composé de trois non-expert·es cisgenres, a publié tout récemment un rapport donnant le micro à des groupes anti-trans sous le couvert de l’anonymatlégitimant, entre autres, des théories pseudoscientifiques tel que la rapid onset gender dysphoria. Le gouvernement du Québec a partagé publiquement son approbation dudit rapport. Encore plus effrayant: le gouvernement du Québec va au-delà des recommendations dudit comité, notamment introduisant une politique ségrégant les prisonnier·ères trans par leurs génitaux — une mesure n’affectant que six prisonnier·ères détenu·es dans des prisons provinciales, malgré une approche cas-par-cas suggéré par ledit rapport.

J’ai des motifs à croire que le gouvernement du Québec pourrait introduire des lois anti-trans dans l’avenir: cette politique sur les prisons en est une première exemple d’à quoi s’attendre. Étant donné que les projections électorales au Québec favorisent le Parti Québécois, auparavant de centre-gauche mais depuis réclamée par des nationalistes «anti-woke», j’ai peu d’espoir que les choses vont s’améliorer bientôt.

À risque modéré: le gouvernement fédéral, la Colombie-Britannique, et l’Ontario en particulier

Commençons par le gouvernement fédéral.

La victoire de Mark Carney est une non-perte pour les droits des personnes trans au Canada. Ce n’est pas une victoire — on n’a pas à s’attendre à des avancées bientôt — mais lorsqu’on considère l’obsession de Pierre Poilievre, du Parti conservateur pour l’abrogation du CD 100, une directive permettant simplement aux prisonnier·ères trans de demander à être transféré·es dans une prison correspondant à qui iel est, ainsi que ses suggestions antérieures d’interdire les soins de santé transaffirmatifs pour les jeunes trans et l’accès aux toilettes pour les femmes trans… disons qu’on a évité drette une météore.

Cependant, cela ne veut pas dire que nous sommes à l’abri de reculs. Tout d’abord, le gouvernement libéral actuel a montré une volonté à collaborer avec les conservateurs pour faire adopter des projets de loi qui feraient saliver Stephen Harper – comme en témoigne notamment le projet de loi C-5. Cependant, ce qui me préoccupe le plus, c’est le projet de loi C-2, la soi-disant « Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière » – un projet de loi que je qualifierais à la fois de draconien et de profondément anti-trans.

La loi C-2 détruit le droit d’asile au Canada, en enlevant aux potentiel·les demandeur·ses d’asile la possibilité d’être entendu·es de manière équitable et impartiale après un an — allant à l’encontre d’un droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. Cette disposition affecte particulièrement fortement les personnes migrantes trans et 2ELGBTQ+, qui ne sont que confronté·es à la nécessité de déposer une demande d’asile qu’après avoir fait leur coming out ici au Canada, souvent après une ou plusieurs années. De plus, ça renforce le soi-disant «Accord sur les pays tiers sûrs» avec les États-Unis, malgré le fait que les É.-U., en plus d’être un pays dangereux pour les personnes trans (où elles sont persécutées sévèrement et souvent essaient de s’enfuir), construisent littéralement des camps de concentration à l’heure où je tape ces mots. Il s’agit d’un projet de loi qui n’est pas nécessairement motivé par une animosité anti-trans, mais dont les effets dévasteront la vie des personnes trans migrantes, les exposant à des risques de persécution à l’étranger, à une époque où le monde ne fait que se rétrécir pour les personnes trans à cause de la haine et du fascisme.

Maintenant, les provinces.

Pendant longtemps, la Colombie-Britannique a été une petite mer bleue de sécurité relative pour les personnes trans… mais ce n’est plus le cas. Le NPD de la C.-B., qui n’a qu’une majorité d’un seul siège, a, avant les élections d’octobre 2024, introduit et adopté une loi interdisant à certaines personnes criminalisées de changer de nom à vie (contrairement à des lois similaires dans le reste du Canada, qui autorisent une discrétion ministérielle dans l’octroi des changements de nom); cette loi affecte, de manière disproportionné, les personnes trans. Le Parti conservateur de la Colombie-Britannique, est bien pire: leurs députés n’ont cessé de répandre de la désinformation sur les personnes trans, de prôner davantage de restrictions sur leur vies, d’essayer d’introduire des lois anti-trans, allant même jusqu’à créer un ministre fantôme entier pour attaquer les personnes trans sous le couvert des « droits parentaux » — ce qui, pour certains députés de l’opposition, n’est pas suffisant. Il est impossible de dire aujourd’hui si la C.-B. va rester relativement calme au cours des prochaines années ou si elle va devenir dangereuse, comme l’Alberta; ça reste à voir.

L’Ontario a modifié, dans un geste peu médiatisé à la fin de l’année 2024, sa Loi sur le changement de nom afin d’empêcher les personnes ayant été condamnées de certains actes criminels à changer de nom, sauf si cela est demandé « pour éviter un préjudice important à la personne au nom de laquelle la demande se rapporte ». Cette disposition est, à première vue, moins stricte que la Name Amendment Act de la Colombie-Britannique. Toutefois, il reste à déterminer si le procureur général de l’Ontario comprend que les changements de nom sont nécessaires pour les personnes trans afin d’éviter un préjudice important. Mis à part ça, l’avenir en Ontario est difficile à déterminer. D’une part, le projet de loi 5 de l’Ontario reste une importante prise de pouvoir de la part du gouvernement et peut être interprété en tant qu’un signe avant-coureur de ce qui se passera si la haine anti-trans finit par se normaliser davantage dans cette province. D’autre part, le gouvernement de l’Ontario a décidé de ne pas porter en appel l’affaire K.S. c. O.H.I.P., ce qui va permettre à un plus grand nombre de chirurgies d’affirmation du genre à être couvertes par le régime public d’assurance-maladie de l’Ontario.

La Nouvelle-Écosse mérite d’être félicitée pour l’amélioration de l’accès aux soins d’affirmation du genre, en particulier dans les zones rurales. Cependant, d’autres projets de loi – par exemple, un projet de loi accordant aux progressistes-conservateurs de la Nouvelle-Écosse (NSPC) le droit de congédier le vérificateur général sans cause – restent une source d’inquiétude pour d’éventuels retours en arrière, en particulier si une vague populiste anti-trans se manifeste dans la province. Pour l’instant, la Nouvelle-Écosse conserve sa note présumée de «risque moyen».

Je n’ai pas de nouvelles à partager sur le sujet de l’Î.P-É., qui conserve sa cote de «risque moyen» pour l’instant.

À bas risque: le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve, et les territoires du Nord-Ouest et du Yukon

Le Manitoba mérite d’être reconnu pour son exemplarité dans la défense des droits trans. Le projet de loi 26 du Manitoba abolit (finalement!) l’obligation d’obtenir une lettre médicale pour changer de mention du sexe, un obstacle important à l’accès à la justice et à la vie quotidienne des personnes trans habitant là, tandis que le projet de loi 43 ajoute l’expression de genre comme motif protégé dans son Code des droits de la personne. Le gouvernement de Wab Kinew soutient également, de manière vocale, la communauté trans face à la haine anti-trans. La seule nouvelle négative que j’ai à partager, c’est que loi n° 2 modifiant la Loi sur le changement de nom, adoptée par l’Assemblée législative du Manitoba en 2024, créera de nouveaux obstacles aux changements légaux de nom à l’avenir, mais elle n’est pas encore entrée en vigueur et contient des dispositions d’exemption ministérielle (ce qui la rend moins dangereuse que la loi équivalente de la C.-B.). Dans l’ensemble, malgré ce dernier point, le Manitoba semble être sur la bonne voie et, en tant que tel, est une juridiction sûre pour les personnes trans.

Le Nouveau-Brunswick a été ajusté à « risque faible », étant donné l’absence de développements négatifs dans cette province et le climat législatif créé par le gouvernement Holt.

Bien que je n’aie pas de nouvelles importantes pour les Territoires du Nord-Ouest, il n’en reste pas moins que les jeunes trans pourraient être confrontés à des obstacles supplémentaires aux soins si l’Alberta choisit de faire appel dans l’affaire Égale Canada c. Alberta, puisque de nombreuses communautés des T.N.-O. dépendent de l’Alberta pour accéder aux soins transaffirmatifs. La même chose s’applique pour une bonne partie du Nunavut.

Je n’ai pas de mise à jour à fournir concernant Terre-Neuve et le Yukon, qui restent sûrs pour le moment. En outre, je ne dispose pas de suffisamment de données pour pouvoir donner un cote au Nunavut; c’est pourquoi ça reste en gris pour l’instant.